Fragments sur l’Europe

Je suis convaincu que la poursuite de nos objectifs en terme de démocratie, de paix, de qualité de vie, de prospérité passe par la mise en commun de nos efforts dans le cadre de l’Union européenne.

Menschen Europa

En mai 2005, les français rejettent le traité de constitution européenne. A la suite de ce « séisme » le gouvernement français instaure un « comité interministériel sur l’Europe ». Celui-ci prend un certain nombre d’initiatives. Une (toute petite) de ces mesures est d’exiger de tous les futurs fonctionnaires français des connaissances minimales sur l’Union européenne. Une question sur l’EU est placée au programme des concours de recrutement des fonctionnaires français. « La Document Française », la maison d’édition rattachée au Premier ministre français, chargée d’éditer un manuel, me charge de réaliser (très vite) l’ouvrage. La première édition sort, fin 2005, sous le titre « Connaitre l’Union européenne – Institutions et politiques ». Depuis l’ouvrage est constamment complété et réédité (2007, 2008, puis sous le titre « L’Europe au concours » 2010, 2013 et 2015). Le cahier des charges indiquait « Les politiques européennes, comme toutes politique publique, peuvent faire l’objet de débats. C’est pourquoi une rubrique ‘Enjeux et débats’ apporte, en fin de chapitre, un bref rappel des questions qui font l’actualité européenne et invite chacun à construire sa propre réflexion ». Voici quelques-uns de ces enjeux, issus de l’édition 2015.

Quel rôle pour la haute représentante, Federica Mogherini ?

Nommée en novembre 2014, la nouvelle haute représentante, Federica Mogherini devra s’imposer dans le domaine des relations extérieures de L’Union.

  • Jean-Claude Juncker, le nouveau président permanent du Conseil européen, ne sera-t-il pas tenté de s’exprimer dans le domaine diplomatique ?
  • Au sein de la Commission, quelle sera l’attitude des cinq commissaires qui peuvent prétendre à une compétence dans le domaine des relations extérieures (Commerce extérieur, Coopération internationale et développement, Aide humanitaire et gestion des crises, Politique européenne de voisinage et négociations d’élargissement, Climat et énergie) ?
  • La tâche ne sera guère plus aisée au Conseil. Federica Mogherini parviendra-elle à s’imposer face à vingt-huit ministres des Affaires étrangères, soucieux de leur intérêt national ?
  • À Paris, Londres, Berlin ou Varsovie, les chefs d’État et de gouvernement, jaloux de leurs prérogatives, lui accorderont ils un peu d’espace ?

Consciente de ces difficultés, Federica Mogherini a confié, en octobre 2014, devant le Parlement européen sa vision de la question « Ma responsabilité est d’adopter une approche globale à l’action extérieure de l’UE, d’assurer la coordination, la cohérence et les synergies entre les différents instruments ».

La candidature turque

La candidature de la Turquie a été acceptée et les négociations ont commencé. Néanmoins, la perspective d’une adhésion suscite beaucoup d’interrogations. La Commission européenne défend la poursuite des négociations avec la Turquie : « L’Europe a besoin à ses côtés d’une Turquie stable, démocratique, prospère et en paix avec ses voisins, qui respecte nos valeurs, nos règles de droit, nos normes en matière de droits de l’homme, d’économie, de politique sociale ou d’environnement. Il y va de notre intérêt stratégique en ce moment particulier où les relations avec le monde musulman en Europe et hors d’Europe constituent l’un des défis majeurs de ce début de siècle. Or le processus de négociation représente le moyen le plus efficace pour atteindre cet objectif et permettre à l’UE de servir de levier au développement du pays. » (Olli Rehn, ancien commissaire européen chargé de l’élargissement).

La Cour de justice, moteur de l’intégration européenne

La Cour de justice, qui a rendu plus de 10 000 arrêts depuis sa création en 1952, joue un rôle essentiel dans la construction et l’intégration européennes. Elle a notamment imposé la primauté du droit de l’Union sur les droits nationaux par son arrêt Costa, en 1964, et elle s’impose comme l’instance juridique suprême pour tout ce qui touche aux traités et à l’interprétation du droit de l’Union. À bien des égards, la CJUE se rapproche d’une instance de type fédéral comme la Cour suprême des États-Unis ou le Tribunal constitutionnel fédéral allemand.

« Bruxelles l’exige ! »

La Commission est fréquemment accusée d’imposer aux peuples européens des textes innombrables et arbitraires. Ces normes, le plus souvent des directives, seraient le fait de « technocrates bruxellois » tatillons et avides de se mêler de tout.

Il y a beaucoup d’ignorance et de mauvaise foi dans ce procès. Les normes européennes ne sont pas fixées par la Commission mais arrêtées à l’issue d’un processus complexe dans lequel la décision finale revient au Conseil – c’est-à-dire aux ministres des États – et au Parlement – c’est-à-dire aux représentants des peuples. En outre, les membres de la Commission sont choisis au terme d’un processus démocratique. Celle-ci est investie à la fois par les États membres et par le Parlement. Dans les faits, elle sert surtout de bouc émissaire à des États prompts à lui faire porter la responsabilité de mesures impopulaires : « Bruxelles l’exige ! »

Les tensions autour du budget de l’Union

Les tensions autour du budget de l’Union sont nombreuses et semblent plaider pour une remise à plat de l’ensemble du système.

Faisons un rapide tour d’Europe :

  • les bénéficiaires « historiques » de la politique régionale (Espagne, Portugal, Grèce, Irlande) se résignent difficilement à perdre les fonds qu’ils recevaient ;
  • les nouveaux États membres (Bulgarie, Chypre, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Tchéquie) demandent leur « juste » part de l’aide régionale ;
  • les plus importants contributeurs nets (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas et Suède) refusent toute augmentation du budget ;
  • la France défend la politique agricole commune, laquelle consomme près de la moitié du budget;
  • le Royaume-Uni refuse toute remise en cause de son « chèque ».

Dans une Europe à Vingt-huit, où les décisions budgétaires sont prises à l’unanimité, un accord sur les perspectives financières est particulièrement délicat à négocier !

La question des contributions nettes

Les États mettent souvent en avant leur contribution nette en calculant ce qu’ils versent à l’Union et ce que l’Union leur redistribue, notamment via la politique agricole et la politique régionale. Le Royaume-Uni a ainsi obtenu, en 1984, une ristourne sur sa contribution au budget (le « chèque britannique »), en arguant de sa contribution nette, plus importante que celle des autres États. On se souvient de la célèbre formule de Margaret Thatcher, Premier ministre britannique : « I want my money back !

Au travers de ces discussions apparaît souvent un débat confrontant deux approches de l’intégration européenne :

  1. une approche plus fédéraliste : la « solidarité financière » ;
  2. une approche plus nationale : chaque État cherche à recevoir de l’Union un montant comparable à ce qu’il verse au budget, c’est le « juste retour ».

Le débat sur le montant du budget

Le budget de l’Union représente environ 1 % du RNB, montant relativement modeste. En effet, le budget national, dans un État européen, représente environ 50 % du RNB de cet État. Dans un État fédéral, comme les États-Unis, le budget fédéral est de l’ordre de 20 % du RNB.

Un impôt européen ?

Les diverses tensions sur le budget ainsi que la nécessité d’une politique économique pourraient déboucher sur un examen complet du système. Catherine Colonna remarque : « La réforme du budget devra, à terme, briser quelques tabous : on ne devient pas une puissance mondiale en y consacrant 1 % de sa richesse » (Catherine Colonna, Le Monde, 7 novembre 2006.) Dans cette perspective, un impôt européen est une hypothèse parfois évoquée.

Le paradoxe de l’agriculture européenne

L’agriculture, qui représente moins de 4 % du PIB des États membres, occupe une place très modeste dans l’économie de l’Union.

Elle demeure cependant un enjeu majeur pour l’Union européenne, car :

  • elle assure l’indépendance alimentaire de l’Union ;
  • elle fournit l’industrie agroalimentaire, de nombreuses autres industries et fait fonctionner beaucoup de services (transports, commerce…) ;
  • le monde rural couvre 80 % du territoire et l’agriculture est un élément essentiel de l’organisation et de l’entretien de ces espaces.

Ce paradoxe est aujourd’hui celui de tous les pays industrialisés.

La course à la productivité

Sous la pression de la concurrence, la course à la productivité (baisse des coûts) dans le monde agricole prend, depuis les années 1980, le relais de la course au rendement (augmentation de la production). Ces politiques ont conduit, entre autres, à la crise de la « vache folle » du fait de l’utilisation de farines animales, à des épidémies chez les animaux (fièvre aphteuse, peste aviaire) et à des pollutions (notamment aux nitrates). Cette « fuite en avant » pourrait se poursuivre avec les progrès du génie génétique et l’utilisation croissante des OGM, à moins que l’agriculture « raisonnée » ne constitue une alternative.

Un avenir incertain

De nombreuses exploitations agricoles ne survivent qu’avec les aides de la PAC. Aucune réforme n’a pu remédier à cette situation difficile pour les agriculteurs et coûteuse pour le budget européen. Ce constat provoque à la fois la remise en cause de la PAC par certains États membres et l’inquiétude, voire la révolte, des agriculteurs inquiets pour leur avenir.

Un enjeu mondial

La demande alimentaire mondiale augmentera de 50 % d’ici 2030 et de 100 % d’ici 2050 ! Ce défi technologique, social et économique touche l’ensemble de la planète. Se nourrir pourrait être un enjeu majeur du XXIe siècle.

La coordination des politiques économiques

« L’euro pâtit d’un déséquilibre entre une politique monétaire unique, gérée par la Banque centrale européenne, et des politiques budgétaires menées par chaque État » . Ce déséquilibre rend l’Europe « boiteuse » (Jacques Delors).

De fait, les idées et les propositions visant à améliorer l’organisation européenne en matière de politique économique et budgétaire n’ont jamais été aussi nombreuses. Les plus prudents parlent de « gouvernance économique » ou de « coordination des politiques économiques », les plus audacieux avancent l’idée d’un « véritable gouvernement économique de la Zone Euro ».

On a proposé la création d’un poste de « ministre européen de l’Economie » . On a aussi évoqué le financement de projets d’investissements par des emprunts européens (« project bonds »), la création d’un Trésor européen et la mise en commun d’une partie de la dette des États membres (« eurobonds »), l’augmentation des capacités de prêt de la Banque européenne d’investissement, …

Certains audacieux ont préconisé une « planification fédéraliste » c’est-à-dire un budget européen plus important financé par des impôts européens, assorti d’un gouvernement économique responsable devant le Parlement, d’un pacte social, d’une politique industrielle et d’une régulation financière .

Une première étape pourrait être l’émergence d’un « discours économique européen audible et mobilisateur autour duquel pourra se développer le débat politique » .

Le « dictas de Bruxelles » en matière budgétaire

Depuis 2013, dans la cadre du pacte de stabilité et de croissance, la Commission contrôle le budget français (comme le budget de tous les pays de la Zone Euro) avant son adoption par le Parlement français. Cependant, le Parlement français reste souverain pour voter le budget de la nation. La Commission ne fait qu’émettre un avis argumenté, qui permet ensuite aux parlementaires français de voter en connaissance de cause. Non seulement ce n’est pas un dictat, mais ce mécanisme rééquilibre même les pouvoirs des parlements nationaux peu outillés en expertise face à l’exécutif.

L’aspiration à une Europe plus sociale

La mise en œuvre d’une politique sociale de l’Union reste difficile dans la mesure où ce domaine est principalement géré par les États. Cependant, des voix s’élèvent pour demander un engagement plus important de l’Union dans le domaine de l’emploi et des politiques sociales. Neuf gouvernements européens (Belgique, Bulgarie, Grèce, Espagne, France, Italie, Chypre, Luxembourg, Hongrie) ont signé une déclaration intitulée « Un nouvel élan pour l’Europe sociale » , où ils affirment la nécessité de renforcer le modèle social européen : « L’Europe des Vingt-Huit ne peut pas se réduire à une zone de libre-échange mais elle doit assurer l’indispensable équilibre entre la liberté économique et les droits sociaux, de sorte que le marché intérieur puisse devenir un espace régulé aussi au plan social. »

Europe 2020 : les préoccupations des citoyens

Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commission, résume, à l’issue du Conseil européen de mars 2005 (il y participait alors en tant que Premier ministre luxembourgeois), les véritables objectifs de la stratégie Europe 2020 : « Que veulent les citoyens européens ? La compétitivité ? Oui. Plus de croissance ? Oui. Une meilleure productivité ? Oui. Mais ces termes ne parlent pas à leur cœur. Ils ne se rendent pas compte en quoi la vie quotidienne des peuples d’Europe peut être concernée par ces trois concepts.

Ce que les Européens veulent en fait, c’est du travail. Ils veulent pouvoir créer dans de bonnes conditions leur entreprise et trouver des financements, des marchés ouverts et des systèmes de communication et de transports performants. Ils veulent pouvoir concilier leur vie familiale et leur vie professionnelle, rester en phase avec les nouvelles technologies et la planète Internet. Ils veulent avoir une bonne éducation pour leurs enfants, des services d’intérêt général et des services publics performants, des retraites décentes, un environnement sain.

C’est ça les préoccupations des citoyens d’Europe. Et c’est là que se trouvent les véritables objectifs de la stratégie de Lisbonne, des objectifs précis que nous oublions parfois quand nous parlons de croissance, de compétitivité et de productivité.»

La différenciation

La coopération renforcée est la traduction institutionnelle du débat sur la « différenciation ». On a parlé de « noyau dur » autour duquel gravitent les autres membres, d’Europe en « cercles concentriques », de « groupes pionniers sectoriels », d’« avant-garde », d’Europe à « plusieurs vitesses », etc. On s’est finalement entendu sur la notion de « coopération renforcée ». Au-delà des débats, c’est le dilemme entre élargissement et approfondissement qui est en jeu. Jacques Delors estime qu’« on ne peut concilier l’élargissement et l’approfondissement que par la différenciation » .

L’Europe des projets

L’Europe s’est construite, au départ, sur une réalisation concrète : la mise en commun du charbon et de l’acier. L’Union pourrait cesser de chercher le traité idéal, abandonner la rédaction de préambules et de chartes pour revenir à quelques projets concrets : grands équipements, projets universitaires, scientifiques, industriels, sociaux, culturels, écologiques, diplomatiques. Valéry Giscard d’Estaing parle ainsi de rendre « l’Europe à nouveau “désirable” […] par les projets qu’elle est capable de porter ».

L’Europe, un sentiment commun ?

« En dépit des différences de coutumes, de langues et de culture, un sentiment commun s’est construit au fil des siècles. […] Sentiment qui grandit autour de trois grands piliers :

le primat de l’individu. […] En Europe, l’individu est roi, et depuis les origines. Si la Révolution française a été la première à lui reconnaître des droits universels, elle l’a fait sur la base de traditions beaucoup plus anciennes qui avaient déjà contribué à distinguer l’individu de la masse. L’influence chrétienne y est pour beaucoup qui oppose à l’élection d’un peuple le rapport direct entre Dieu et chacun de ses fidèles. Mais aussi le droit romain, qui jette les fondements d’une société dans laquelle le droit de propriété individuelle joue un rôle majeur ;

le développement du commerce. […] La tradition de propriété privée a préparé l’émergence d’une économie marchande qui est l’un des autres traits de ce continent. L’apparition du capitalisme ne fera qu’accentuer ce lien entre l’individualisme européen et la tradition de négoce du continent ;

l’invention de la démocratie. […] Les cités grecques, les institutions ecclésiastiques qui pratiquent très tôt le système de l’élection, les parlements régionaux, les démocraties paysannes et finalement les révolutions anglaise et française font de la démocratie notre héritage commun » .

L’Europe, une nation ?

Ernest Renan définissait ainsi la nation : « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a fait et de ceux qu’on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l’existence de l’individu est une affirmation perpétuelle de vie » . Au vu de cette définition et après une période de cinquante ans pendant laquelle les traités successifs furent l’objet d’une ratification quasi unanime par les États, on peut se demander si l’Europe n’est pas « une nation qui s’ignore ».

Le CESE et la démocratie participative

Relais entre la société civile et l’Union, le CESE pourrait promouvoir une « démocratie participative » européenne. Celle-ci, fondée sur le dialogue civil, compléterait la démocratie représentative (les parlements nationaux, le Parlement européen, etc.). Le CESE pourrait ainsi améliorer sa crédibilité en tant que représentant institutionnel de la société civile et contribuer à combler le fossé existant entre l’UE et ses citoyens.

Le CESE et l’initiative citoyenne

Le traité de Lisbonne donne le droit à un million de citoyens de l’Union de s’adresser directement à la Commission pour lui demander de soumettre une initiative. Le CESE pourrait accompagner certaines de ces initiatives par le biais de ses propres avis. Cette démarche pourrait répondre à une initiative émanant des citoyens ou même en constituer la base.

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