Constantin Cavafy, poète grec, écrit en 1911 « Ithaque », un magnifique poème sur l’odyssée dans lequel il s’adresse directement à Ulysse. En voici un extrait de traduit par Jacques Lacarrière.
Souhaite que dure le voyage.
Que nombreux soient les matins d’été où
Avec quelle ferveur et quelle délectation
Tu aborderas à des ports inconnus !
Arrête-toi aux comptoirs phéniciens
Acquiers-y de belles marchandises
Nacres, coraux, ambres et ébènes
Et toutes sortes d’entêtants parfums
Le plus possible d’entêtants parfums,
Visite aussi les nombreuses cités de l’Égypte
Pour t’y instruire, t’y initier auprès des sages.
On pense généralement que but d’Ulysse est de rentrer à Ithaque. Or d’après Cavafy, l’essentiel du voyage n’est pas son but mais le voyage lui-même. Jacques Lacarrière précise: « Loin d’être des obstacles ou des empêchements, ces épreuves deviennent des sources de salut ou de connaissance et c’est pour elles, par elles, que le voyage prend son sens. Voilà ce que nous dit – bien mieux que je ne l’exprime ici – Cavafy dans ce merveilleux texte, voilà pourquoi Lestrygons et Cyclopes deviennent soudain des monstres illusoires (puisque c’est nous qui les forgeons) mais d’autant plus difficiles à vaincre qu’ils sont une part de nous-mêmes.»
Qu’il soit question de voyage ou de carrière, le trajet est souvent plus intéressant que la destination finale. Peut-être faut-il se fixer pour but de faire un beau voyage plutôt que d’aller vite et d’arriver loin.
Utilisons une métaphore… Il est possible de voyager en train. On sait alors précisément à quelle heure on passera dans quelle gare, où et quand on arrivera à destination. Mais on peut aussi décider de cheminer en voiture. Il est alors possible de ralentir, d’accélérer, de faire une pause, un détour… Au final pour arriver à la même destination on mettra plus de temps mais… on aura vu plus de pays! Notre carrière est aussi semblable à un voyage. Nous pouvons, pressé d’arriver, prendre le train, nous pouvons aussi cheminer, faire un détour, voir du pays… Toute proportion gardée (1), notre carrière est aussi odyssée dont le but n’est pas d’arriver mais de voyager.
(1) Quoique, au cours de ma carrière, j’ai connu quelques cyclopes et je dois dire aussi quelques sirènes…
